Le jour de mon grand retour sous ma véritable forme était enfin arrivé. Quelques minutes, tout au plus, avant que la lune rouge ne se lève. Mon attente avait été si longue et tant de choses s’étaient produites. J’observai la femme devant moi, dragonne aussi. Coincée dans le corps d’une elfe aussi. Une situation similaire, pourtant, elle n’avait connu l’exaltation d’être entière. Du vol, du feu, rien de ce qui fait de nous ce que nous sommes. Les elfes lui avaient pris tout ce qui faisait d’elle une merveille, avant même qu’elle ne fût née. Tout cela pour pouvoir prétendre posséder un dragon.
Ma haine s’en était vue décuplée. Ces affreux êtres aux oreilles pointues le paieraient cher, bientôt. Mes pensées revinrent à l’instant présent, la peau trop délicate de Perle me caressant une joue. Mon cœur hésita, si ce n’avait pas été de ce corps, de cette moitié d’être j’aurais certainement pu l’apprécier.
Je repoussai sa main et elle me sourit tristement, mon attitude continuait de la blesser, je le savais bien. Je ne supporte pas son toucher, sa peau d’elfe contre la mienne. Cela me rappelait que trop ma propre apparence.
— Si tu es prête, allons-y, ordonnai-je pour reprendre contenance.
Je me plaçai au centre d’un pentacle de flammes. C’était mon grand moment, je levai les yeux à nouveau sur elle.
— Mèric… m’oublierez-vous lorsque vous serez à nouveau… vous ?
Sa douleur me fit pitié. J’ignorais la réponse, je ne voulais pas la savoir, mais maintenant qu’elle l’avait demandé, je dus y réfléchir. Je gardai un long silence qui la fit baisser ses iris mauves.
— Probablement. Pas tout de suite, mais avec le temps…
Je la vis s’essuyer une joue puis me regarder à nouveau.
— J’espère que vous serez heureux Mèric.
Sa sincérité me perça à nouveau le cœur, impossible de l’ignorer, moi, le dernier dragon, Mèric le puissant, je ressentis un tel regret. Ce fut mon tour de baisser le regard, un bref instant. Le clair de lune rougeâtre commença à briller, sauvé. Perle se détourna pour se placer elle aussi. Je la suivis des yeux, en un adieu silencieux. Gravant son horrible apparence en mon esprit, mais surtout sa personnalité. Tandis que la magie s’activait, je sentis la puissance m’envahir. Je fermai les yeux, savourant ce moment. Un court moment où plus rien autour n’ut son importance, jusqu’à ce que mon corps d’emprunt se brise, un os à la fois, que ma peau se déchire pour laisser place, dans la douleur, à ma véritable forme. La souffrance m’arracha malgré moi plus d’un cri, jusqu’à ce que ma voix soit ce qu’elle aurait toujours dû être : un rugissement.
J’ouvris les yeux, ma vue avait retrouvé de son acquitté, enfin. Tous mes sens en éveils, je savourai l’odeur de la pierre, de la terre, de l’herbe et de l’air. Je testai mon corps tranquillement, à nouveau dans toute ma grandeur ! Je me redressai, le sol me sembla loin, je me sentais enfin complet. J’étirai mes ailes, le vent les effleura et mon besoin de m’envoler fut grand. Toutefois, il me restait une chose à voir, à faire.
L’odeur du sang avait rempli l’air. Je baissai mes yeux de braise au sol, son corps était étendu au sol, mon museau se baissa à sa hauteur et je la reniflai. Il lui restait encore un souffle de vie, de ma grande patte griffue, je la tournai le plus délicatement possible. Perle porta son regard fiévreux sur moi, sa main se posa sur ma peau écailleuse, si minuscule… Mon dégoût pour elle s’était éteint. Elle me sourit une dernière fois.
Les yeux me brûlaient, je sentis le liquide salé s’écouler le long de mes écailles. Je pleurais. Sa main retomba au sol, relevant un petit nuage de cendres. Mon envie de m’envoler s’était dissipée, je m’étendis contre son corps inerte. Je séchai mes larmes en détectant un parfum de fleur en approche. Je reconnus la princesse fée à la tête d’un petit groupe de ses semblables. Je laissai cette horreur approcher me disant qu’elle souhaitait peut-être faire ses adieux. Je pouvais le concevoir.
Sa compagnie me surprit à user de leur pouvoir. Je grognai un avertissement, dévoilant mes crocs. La princesse m’intima de leur faire confiance, ce qui me déplut. J’obtempérai après qu’elle argumente un peu plus. Leurs magies se combina alors, je regardai incrédule des petites bulles se former au-dessus du ventre du corps qu’avait été jadis Perle. Le phénomène était si étrange que je me redressai. J’exprimai ma nervosité d’un coup de queue qui alla se fracasser contre un rocher. Sous mon regard ahuri, les bulles grandirent, se métamorphosèrent. Puis se posèrent à mes pieds. Il y en avait quatre. Je les fixai et remarquai à peine les fées se retirer, la princesse nous fit une révérence.
— Longue vie aux dragons
L’entendis-je de mon ouïe décuplée. Je regardai le corps de Perle à nouveau, inspirant, je sentis la chaleur désirer au fond de ma gorge. J’ouvris ma gueule et les flammes en débordèrent. Je m’assurai que son corps avait disparu en cendre avant de me redresser complètement. Je m’emparai de mon nouveau trésor, deux entre mes pattes, et deux dans ma gueule. Je fis attention, procédant avec douceur pour ne pas les casser. De retour dans mon antre sous la montagne, je dégageai un endroit pour les poser. Tous les quatre. Tous de couleur mauve, comme l’avait été ses yeux. Les fées étaient parvenues par un étrange miracle à prélever les ovules du corps de Perle. Les ramenant sous la forme qu’ils auraient dû avoir. Celle d’œufs. Mes œufs désormais, je n’attendis pas davantage pour les féconder. Puis, je réchauffai les œufs de mon souffle brûlant.
« Je serai le protecteur de ces vies, me dis-je. »
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